mercredi 24 avril 2013

Marrakech La folie des Riads


Anciens palais souvent tombés en décrépitude, les riads s'arrachent aujourd'hui à prix d'or, Restaurés par des passionnés, il sont désormais dotés de tout le luxe et le confort modernes.


 


Sous le crayon d'un architecte, l'équation du riad est simple: un patio et une pièce d'eau organisés autour

d'une construction en R + 2 (traduisez deux etages). Le tout engoncé dans la médina et construit dans un style qui n'a rien d'arabe (des guerriers nomades) ni de berbere (des poatoraux), mais andalou, concu par les architectes amenés d'Espagne au XIe siècle par Youssef ben Tachfin, Dans l'esprit d'un agent immobilier de Marrakech, l'équation est plus simple encore: c'est le prix il y a dix ans d'un taudis de la médina multiplié par dix aujourd'hui, le coefficient multiplicateur s'établit en feuilletant les pages poeple des magazines, L'addition d'Yves Saint-Laurent, de Pierre Bergé, de Bernard-Henri Levy, de Richard Branson, de Jean-Paul Gaultier, d'Alain Delon et du financier belge Albert Frère, tous marrakchis d'adoption, pèse lourd. Qu'ils déclarent que Saint-Topez est devenu vulgaire ou le Luberon surpeuplé, et c'est la ruée sur Marrakech, havre ultime d'un exotisme encore authentique. Voila pour la version jet-set. Il en est une autre, à peine plus populaire: "il a suffi d'une émission d'une chaîne de télévision française en 1998, au cours de laquelle il a été dit que l'on pouvait s'offrir un palais à Marrakech pour le prix d'un studio à Paris, c'est-à-dire 30 000 euros", résume Abdellatif Aît ben Abdellah, directeur de Marrakech Riads. Un personnage désarmant jusque dans sa fiche d'identité: il est né au début des années 60, près de Marrakech, à la saison où poussent les blés. "A une époque où les enfants d’agriculteurs n'allaient pas en classe". Ce n'est guère plus précis, mais constitue un début de curriculum vitae. Pour autant, le père ne manque pas d'ambition et rêve d'un fils gendarme. Abdellatif traîne à l'école jusqu'à 15 ans, mais endosse le bleu du mécanicien plutôt que celui de la gendarmerie. Faute de se trouver un apprentissage, il écume la médina pour y vendre du meuble et de l'artisanat. A vingt ans, il s'envole pour le "paradis" français auquel il finit par préférer au bout de deux mois l'"enfer" du bled. Retour à Marrakech et sa médina. A la fin fin des années 80, Abdellatif commence à explorer les riads, dars et autres palais, abandonnés pour la plupart par les grandes familles marrakchies. il en visite un millier. "Les derniers résidents me racontaient des histoires qui remontaient jusqu'à sept générations. C'était comme des livres qui s'ouvraient devant moi. je me suis alors souvenu d'une sourate du Coran qui dit: "On ne peut pas comparer ceux qui savent à ceux qui ne savent pas". le sauvetage des riads s'est donc imposé à lui. Il achète son premier en 1989, le restaure et s'imagine déja en promoteur-sauveteur de la médina. Mais la mode n'est pas encore lancée. "Les quatre ou cinq français qui vivaient dans la vieille ville étaient des amoureux de la culture et du patrimoine marocains. Rien à voir avec ceux d'aujourd'hui. Quant au responsable local du tourisme à qui j'ai demandé le classement de mon riad comme maison d'hôte, il s'est étranglé: " Dans la médina? les touristes la prennent pour un coupe-gorge. Vous êtes fous!"

Onze mois pour faire renaître un palais

En 1999, Abdellatif découvre un dar datant de la fin du XVe siècle et du début du XVI, la période saadienne particulièrement florissante pour l'architecture  et les arts décoratifs. Une ruine: "Le toit, en partie écroulé, laissait passer la pluie, les eaux usées s'infiltraient partout, remontaient dans les murs de brique, certaines pièces étaient comblées par de la terre, les boiseries étaient abîmées au point de partir en poussière au moindre choc. l'état des stucs datant des Almohades était pitoyable, les zelliges avaient disparu et on marchait sur la terre battue, dans une poussière abominable. Sans parler de l'angoisse de voir un ouvrier transportant un madrier heurter un pilier et faire s'écrouler la maison."
Pendant onze mois, 25 ouvriers vont se relayer pour faire renaître les lieux. Un temps record. Inauguré en 1999, ce palais, auquel il donne le nom de Dar Cherifa (la maison noble), devient un lieu d'expositions, de rencontres, de convivialité. La qualité de la restauration est saluée par tous, notamment par l'écrivain catalan Juan Goytisolo, qui vit à Marrakech. En mai 2001, l’artisanat du classement de la place Jemaa el-Fna au Patrimoine mondial de l'humanité choisira Dar Cherifa pour célébrer l'événement. "Moi qui n'ai pas fréquenté l'université, ni suivi l'enseignement, d'un grand maâlem, je me dis que Dar Cherifa constitue mon diplôme de fin d'études". confie Abdellatif.
De telles histoires de coup de coeur pour un palais abandonné, Marrakech en a connu d'autres. Mais on est passé de la passion amoureuse pour la médina à la fièvre acheteuse immobilière. Les chiffres s'imposent: 450 riads vendus en 1999, un millier aujourd'hui, principalement à des demande s'est faite implacable. Des 30000 euros, auxquels il faut ajouter à peu près autant en frais de réhabilitation, l'inflation suivant irrémédiablement son cours.
La folie des riads atteint pourtant ses limites économiques, sociales et écologiques. D'abord, parce que les 2300 riads recensés à l'inventaire ne sont pas tous aptes à la restauration: abandonnés depuis des décennies par des autochtones de la médina, trop heureux de jouir du confort de la ville moderne, pas mal d'entre eux menacent ruine aujourd'hui. Ensuite, parce que la promiscuité d'une population européenne fortunée et des Marrakechis les plus modestes contraints de subsister dans la médina suscite des frictions. Enfin, parce que le tarissement de l'offre à l'intérieur des remparts conduit naturellement à la construction dans la palmeraie, décimée au profit du gazon, l'exotisme dans sa version occidentale ne se conçoit ici que dans un périmètre qui vous isole des populations locales.     

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire